Un sommet enneigé à 2200 m. d’altitude, dominant, à 360 degrés, les vallées de l’Euphrate et du Tigre. Un tumulus funéraire gardé par des séries de statues colossales dont les têtes gisent au sol tels les moais de l’Ile de Paques. Du pur mythe! L’Empereur Antiochos Ier aurait sombré dans l’oubli le plus total s’il n’avait choisi pareille sépulture. Reprenons. Nous sommes en l’an 64 av-JC. Toute l’Asie Mineure est occupée par l’Empire Romain. Toute? Non! La Commagène, avec à sa tête Antiochos résiste (certes, avec un traité de non-agression) toujours à l’envahisseur. Ça ressemble à de l’Astérix, sauf que notre Antiochos, bien que ne disposant pas de potion magique, se croit immortel (ce qui revient un peu au même). Il va donc faire construire sa dernière demeure le plus près des dieux.
“A la fin de ma vie j’entrerai mon repos éternel ici, et mon esprit rejoindra celui de Zeus-Ahura Mazda dans les cieux”
Antiochos choisit la montagne la plus haute et la plus pointue du pays. Les voyageurs qui arrivent par la route, au niveau d’Adiyaman, ne peuvent pas se tromper. Elle se distingue immanquablement par sa forme singulière. Elle interpelle parmi les autres. Le choix de se faire ensevelir à pareille hauteur n’est pas sans rappeler les rituels des Incas (1). Le roi fait construire un tumulus qui couronne et complète la forme conique et aiguisée de sa montagne. De part et d’autres, deux terrasses symétriques sont aménagées. Une terrasse à l’Est, pour faire face au Levant, une à l’Ouest pour le Couchant. Sur les terrasses sont installées des statues colossales représentant Apollon (2), Fortune, Zeus-Ahura Mazda, le roi Antiochos et Héraclès. La mégalomanie Antiochos n’est pas sans rappeler celle d’un certain Ramses II (3). Comme a Abou Simbel, les figures sont représentées assises, en pied, cote à cote. Ces statues ont toutes perdu leurs têtes, qui gisent aujourd’hui au sol, dans la neige (en saison). L’image est magique, et nombreux sont ceux qui ont été épatés par ces images de têtes colossales en pleine nature, comme celles des Olmèques au Veracruz mexicain. D’ailleurs, elles ont du succès. L’afflux de visiteurs leur a coûté très cher et il est aujourd’hui question, soit de les replacer à leur place, soit de les remplacer par des copies.
Quelle que soit l’issue de cette affaire, pas de panique. Malgré tant de grandeur, l’intérêt de la visite au Nemrut Daghi n’est nullement artistique. Les sculptures ne sont aucunement comparables aux chefs-d’oeuvre de la statuaire antique (égyptienne, orientale ou méso-américaine). Si grandeur il y a, c’est d’abord, dans les lieux. Le décor, le parcours. La vue, grandiose à souhait. Immense, inoubliable. Le parcours? parlons-en! Le chemin de croix, plutôt! Après plusieurs heures de route, dont les derniers kilomètres particulièrement épiques, surtout quand elle se déroule à 4 h du matin, le dernier km avant le sommet s’effectue à pied, dans l’obscurité totale et avec un froid polaire. Cette heure étant, avec celle du coucher, celle à laquelle arrivent le plus grand nombre de visiteurs, on a l’impression de se retrouver dans l’étrange procession d’une secte multiethnique ou se retrouvent kurdes et japonais! Une fois là haut, c’est clair que cette foule, pas si nombreuse mais compacte, fait perdre aux lieux une part de leur magie.
Voila pourquoi il est recommandé de visiter des sites secondaires comme le Karakus, ou l’on est pratiquement sur d’avoir le coucher du soleil pour soi tout seul. Ce tumulus fut créé pour abriter les tombes des dames du Commagène. Il est entouré de 5 colonnes, 1 pour chaque direction, deux dans celle du Nemrut Daghi visible en arrière plan. Le spectacle est magique, surtout au printemps lorsque les paysages alentours sont verdoyants.